Le retour du loup, de plus en présent en France, interroge notre rapport au sauvage, nous bouscule dans nos certitudes et met à mal notre vision anthropocentrée.
Dans la Double, région forestière au carrefour de la Gironde et du Périgord, un réseau* regroupant éleveurs, chercheurs et habitants, se met en place pour s'adapter au retour du prédateur. Il a pour but de sortir du manichéisme qui oppose éleveurs et écologistes : ceux qui d’un côté subissent les attaques, et considèrent l’animal comme nuisible contre ceux qui, de l’autre, réclament sa protection dans des espaces sanctuarisés, parfois au détriment de l’activité humaine.
Ce temps d’anticipation offre un espace, à distance des débats passionnés, où tout est encore possible. Il permet d’imaginer une cohabitation entre usagers d’un même territoire tout en menant une réflexion sur l’alimentation, l’environnement, le vivre ensemble.
« Pour faire parler le loup, il faut faire parler les hommes » disait Antoine Nochy, pisteur, auteur de La bête qui mangeait le monde, et à qui cette série rend hommage.
Eleveurs, bergers, cueilleuse, néo-ruraux, naturalistes, chasseurs témoignent… Qu’ils aient croisé le prédateur, qu’ils le fantasment, le craignent ou le dénient … ils dessinent ensemble le portait d’un fauve, à la fois proche et lointain, menaçant et merveilleux, toujours auréolé de mystère, dont le symbole de liberté ne cesse de nous fasciner.
- le réseau d’entente fait partie des propositions du plan de prévention des risques de prédation ( PPRP ) mis en place par le CIVAM PPML
** CIVAM PPML (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural – Produire Partager et Manger Local en Gironde)
Eric Guttierez, éleveur de brebis, berger transhumant, producteur de fromage bio
« La situation reste bloquée entre les appels au « meurtre » , qui sont en fait des appels au secours des derniers éleveurs en plein air et les aspirations d’une société urbanisée qui cherche à racheter les conséquences de sa démesure.
Le loup ne vient pas demander protection mais nous questionner sur la relation que l’on veut avoir avec le vivant. Il nous interroge sur notre capacité à mettre en œuvre les moyens de restaurer les conditions permettant la conservation de nos écosystèmes.
Alors comment et avec quoi, pouvons-nous prendre la voie d’un possible partage de l’espace avec les vivants humains et non humains qui habitent cette planète ?
Il faut définir un langage pour que l’on puisse co-exister avec le sauvage.
Thérèse Kohler, bergère sans terre
" Ça fait très longtemps que je sais que le loup va arriver chez nous. En 2014, j'ai rendu visite à des copains bergers dans le Mercantour. Ils ont 30 ans de loup. Pour beaucoup d'entre eux, un bon loup est un loup mort. A ce moment là j'ai pris un patou.
Mais depuis, ma vision a évolué. Ce n'est plus moi ou lui. J'ai cette utopie que la cohabitation est possible.
Tout le monde s'excite, ça rend la discussion stérile. La souffrance des agriculteurs n'est pas seulement liée au loup... Les gens sont abandonnés. On l'a vu l’été 2022 avec la tempête ."
Pascal Sancier, éleveur de brebis, berger transhumant, producteur de viande bio
Le loup est une épée de Damoclès sur tous les éleveurs qui comme moi travaillent en plein air. Le retour du loup remettrait complètement en question mon système. Je ne pourrai plus travailler avec des troupeaux à l’herbe, ni produire de viande de qualité.
Patrick Franklin, éleveur et producteur de viande, pratique une agriculture régénérative.
« Un matin sur la route pour aller au marché de Sainte-Foye avec ma mère, nous avons croisé ce qui nous a semblé être un loup. Il était assis sur le bord de la route, tranquille. Il ne présentait ni menace, ni inquiétude.
On va trouver un moyen de vivre avec. Ça nous forcera à nous adapter. Celui qui ne s’adapte pas est celui qui coule. Il est plus simple de vivre avec que de se battre continuellement avec la nature.
La menace commune fait que l’on se parle plus souvent. Finalement le loup crée du lien entre nous, agriculteurs.
Pierre-Paul Grondin, berger sans terre , associé de Thérèse.
« Je connais tout le monde, le territoire, les gens, les petits vieux. J’offre du spectacle. Je suis libre. Je rêve qu’un jour il y ait des animaux sauvages plein la forêt. Mais ce jour là, je mettrai une croix sur mon métier de berger